Je sens que je vais encore me sentir bien seul sur le net (et ailleurs) en défendant les niches fiscales. Il s'agit d'un joli diable à défendre en fin de compte. Oh ce n'est pas la première fois que je vais plaider pour son existence puisque j'avais déjà écrit sur le sujet dans mon article relatif à la révolution fiscale de Thomas PIKETTY. Mais que voulez-vous ? Il a fallu un rapport de l'I.G.F. sur les niches fiscales pour qu'un vent de folie souffle sur la France. Les niches fiscales doivent être décapitées tout simplement. Puisqu'on vous le dit !
Le débat part alors rapidement sur le terrain politique puisqu'il y aurait d'un côté une droite créatrice de niches fiscales et de l'autre une gauche parfaitement opposée à ce type de dispositifs. C'est en tout cas ce que nous a dit depuis LA ROCHELLE l'ancien ministre de l'économie et des finances, Michel SAPIN, soutien de François HOLLANDE, qui avait brillé dans le gouvernement BEREGOVOY. Il semble avoir oublié que la gauche a inventé elle-même une cargaison de niches fiscales dont certaines portent même le nom de ministres socialistes du logement tels BESSON ou LIENEMANN s'appliquant dans la catégorie des revenus fonciers. Qu'importe !
Le problème est ailleurs. Il se trouve dans la malhonnêteté intellectuelle ambiante qui règne dans les questions ou les débats relatifs à la fiscalité. Il semble que quelques évidences aient été oubliées et il est bon ici de les rappeler.
1/ Tout d'abord et comme les niveaux de notre déficit et de notre dette l'indiquent, la France mène une politique keynésienne classique en intervenant massivement dans l'économie. On peut dire à ce propos que dans la politique keynésienne il y a trois leviers principaux pour agir "favorablement" sur l'économie : la baisse des taux d'intérêt, la dévaluation et la dépense publique. Si d'ailleurs les trois réunis ou l'un d'entre-eux provoquent de l'inflation le résultat est censé être optimal. Or comme chacun le sait la France ne peut décider, seule en tout cas, de la baisse des taux d'intérêt et encore moins de la dévaluation de l'Euro. De même il est connu que l'Union Européenne mène une politique de lutte contre l'inflation pour améliorer la compétitivité. Le gouvernement français, comme ceux de l'eurogroupe, ne dispose plus que du levier de la dépense publique pour intervenir dans l'économie et encore à des niveaux d'engagements fixés tant pour le déficit que pour la dette. Dès lors mettre sous les feux des projecteurs 120 milliards d'euros de niches fiscales pour démontrer l'énormité de la somme n'a littéralement aucun sens. Car cette somme ne fait que traduire le dernier levier de l'intervention de l'Etat dans l'économie. Sans les crédits d'impôts sur les équipements favorables aux économies d'énergie et au développement durable, l'Etat aurait-il pu développer ce secteur d'activité porteur d'emplois et d'avenir ? Certainement pas. Ou alors il aurait dû engager les mêmes crédits pour subventionner le secteur ou pourquoi pas, faisons du socialisme, pour créer un secteur public dans cette filière. Quelle que soit l'alternative la conclusion s'impose : toute niche fiscale correspond dans sa dépense à un interventionnisme de l'Etat dans l'économie. A moins de renoncer à cet interventionnisme (pour mener une politique libérale ou néo-classique), les crédits aloués à ces niches auraient été dépensés d'une autre façon mais dans le même but dans l'hypothèse où les niches n'existaient pas. Penser qu'en supprimant 120 milliards d'euros de niches fiscales (ou 90, 50 ou 30) tous nos problèmes de déficit et de dette seraient résolus est donc une escroquerie intellectuelle. Surtout quand cette idée nous vient de socialistes pourtant peu enclin à mener une politique libérale.
2/ Ensuite on entend que ces niches fiscales coûtent cher à l'Etat. Voilà le deuxième pan de l'escroquerie intellectuelle. Parler d'un coût brut n'a effectivement aucun intérêt, sauf celui de la désinformation. Ce qui serait bien plus intelligent c'est de parler du coût net, voire dans certains cas (peut-être même la majorité) de parler des gains nets en terme de recettes fiscales supplémentaires. Prenons les niches fiscales relatives aux investissements effectués dans les DOM, évaluées en gros à 800 millions d'euros. Que je sache de la T.V.A. à 19,6% a été collectée, les fournisseurs paieront des cotisations sociales et des salaires (d'où de la T.V.A. et de l'impôt sur le revenu) et leurs bénéfices seront imposés. N'oublions pas le même processus chez les notaires et le paiement des droits d'enregistrement qui profitent largement aux collectivités locales. Elles toucheront ensuite la taxe d'habitation due par les locataires et la taxe foncière due par les propriétaires. N'oublions pas enfin l'augmentation du patrimoine des investisseurs et les conséquences à l'I.S.F.. Bref parler des sorties sans parler des rentrées est parfaitement malhonnête et à tout le moins totalement incomplet.
A l'inverse et par voie de conséquence dire qu'en supprimant les 50 milliards d'euros de niches fiscales jugées inutiles nous n'aurons plus de problèmes de déficit et de dette est totalement faux et irresponsable. En effet supprimer 50 milliards d'euros de niches fiscales c'est mettre à genoux notre croissance et c'est tarir de manière mathématique les rentrées fiscales... Le déficit n'a alors aucune chance de se réduire de 50 milliards d'euros.
3/ En outre il y a la fameuse rengaine sur les effets d'aubaine. Comprenez : c'est une aubaine pour les riches car de toute façon ils emploieront toujours du personnel à leur domicile et ils investiront toujours. Je note que s'agissant d'aubaines, nous pouvons mettre le mot au pluriel et lister les bénéficiaires. Il y a d'abord l'Etat qui comme on l'a vu plus haut crée de la croissance économique par son intervention et en retire de larges bénéfices par les rentrées fiscales qui en découlent. Il y a ensuite les salariés qui profitent de l'activité économique générée par les niches. Il y a aussi les caisses sociales qui voient rentrer des cotisations sociales sans parler des collectivités locales qui engrangent les taxes directes locales. Il y a enfin l'Administration Fiscale qui est rassurée : trouver un acte d'acquisition d'un bien immobilier à l'étranger n'est quand même pas chose aisée ; orienter les investissements immobiliers des riches dans les DOM facilite grandement les contrôles de l'I.S.F. et des successions. Bref parler d'aubaine pour les riches pour broyer les niches fiscales est à double tranchant puisque l'on prend alors conscience que ces niches correspondent en fait à des dépenses. Oui les riches peuvent vouloir investir mais ils ont une alternative : dépenser leur argent en France ou à l'étranger. La niche fiscale est donc une formidable aubaine pour l'Etat puisqu'elle permet de générer de la dépense à l'intérieur des frontières. Au delà de ces considérations je trouve assez burlesque de comparer les bénéficiaires de niches en fonction des revenus. Faire des études poussées pour démontrer que les plus riches bénéficient le plus des niches est d'un apport informatif douteux puisqu'il s'agit quand même au départ d'orienter l'argent des Français dans des secteurs d'activité pour soutenir la croissance. Il n'y a alors rien d'étonnant à ce que l'Etat oriente de facto plus l'argent des riches que celui des plus modestes compte tenu des disponibilités des uns et des autres.
4/ Enfin il y a un dernier point et non des moindres. Si la France est championne du monde des niches fiscales c'est simplement parce que c'est le seul moyen d'atténuer des taux d'imposition exagérés et confiscatoires. Les médias ont rappelé que la tranche la plus haute de l'impôt sur le revenu était de 44% en Allemagne et de 50% au Royaume-Uni. L'air de dire qu'avec 41% nous pourrions augmenter les impôts des plus aisés... Sauf qu'en Allemagne et au Royaume-Uni ils n'ont pas l'I.S.F. ni des prélèvements sociaux à 12,3%. Ainsi pour se débarasser des niches fiscales peut-être qu'un bon moyen serait de baisser les taux d'imposition. D'ailleurs Jacques MARSEILLE avait démontré qu'en appliquant en France la flat tax (un taux unique d'imposition s'applique sur le revenu et aucune niche fiscale n'existe) à un taux bien inférieur à 41% les riches paieraient davantage d'impôt sur le revenu qu'aujourd'hui. Mais je doute que la tax flat soit dans le projet socialiste.
En définitive le sujet de la fiscalité est sérieux et sans doute plus complexe qu'on veut bien le dire. La tromperie des derniers jours est venue du fait qu'on a voulu mélanger lutte contre les déficits et justice fiscale et sociale. Penser que supprimer des niches peut permettre d'atteindre les deux objectifs est une erreur manifeste puisque les niches sont justement faites pour créer de la croissance et ainsi des recettes fiscales et sociales d'un côté et des emplois de l'autre. D'ailleurs si nos performances ont été bien meilleures que les autres durant la crise économique de 2008 et 2009, sans doute que les niches y sont pour quelque chose.